La marche produit de l’architecture et du paysage. Elle est un outil pour repenser les espaces et rendre visible un territoire.
« De l’activité de marcher à travers le paysage pour contrôler les troupeaux dérive une première cartographie ainsi que l’attribution de valeurs symboliques et esthétiques au territoire, qui conduisent à la naissance de l’architecture et du paysage. » (1)
Marcher devient l’art de construire l’espace. Le marcheur par son expérience sensible transforme ces espaces et les imagine à nouveau. Des artistes et notamment à travers le land art réfléchissent au lien entre le corps et l’espace et utilisent la marche comme pratique pour en rendre compte. Richard long, laisse une trace, celle de l’homme et redessine des espaces avec son corps. Ainsi la perception du marcheur crée le paysage et son corps l’architecture: le marcheur façonne les espaces, les repense pour les habiter.
Ces œuvres, éphémères, reflètent aussi le temps qui passe : celui qu‘il a fallu pour marcher et dessiner une ligne mais aussi le temps qu’il faudra pour l’effacer. Car rien n’est définitif, tout évolue et se transforme (2).
On sort de la carte pour rentrer dans un espace « vécu » qui n’est ni mesurable, ni calculable.
Ces espaces que nous appelons « vides », le sont-ils vraiment ?
Pendant mon parcours, plus je quittais une gare et plus je me dirigeais vers des espaces inconnus. En effet, on ne perçoit le territoire que par des cartes, des lignes de bus et de métro… Ces supports donnent à voir des indications pratiques comme le nom des arrêts, les grands monuments et infrastructures et le temps d’attente. Ainsi ils rendent compte d’un territoire plat et fade. Ses contrastes et sa richesse apparaissent seulement quand on le traverse. L’expérience de ma marche témoigne de sa diversité mais aussi de l’évolution des frontières. Celles-ci ne sont pas délimitées comme sur une carte. Il existe un véritable lien dans le territoire, mais ce sont les infrastructures qui les définissent à nouveau. Les routes, les autoroutes, les centres commerciaux ou encore les parkings coupent le paysage et donc créent des frontières pour les piétons.
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CARERI Francesco, Walkscapes, la marche comme pratique esthétique, 2013, Paris, Rayon Art, p37
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DAVILA Thierry, Marcher, Creér, 2002, Paris, Regard, p 112
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Pendant la marche, se crée petit à petit un lien entre le paysage et le marcheur. Ce n’est pas seulement ce que le marcheur peut faire du paysage mais aussi ce que le paysage et le territoire font du marcheur. En effet, ma marche était divisée en deux : il y a eu les éléments d’observations qui représentaient ce que j‘ai fait du territoire : la matérialité du sol, la perception des couleurs, de la lumière et du paysage par les sens. Mais aussi ce que le territoire a fait avec moi et ce qu’il a engendré : de l’ennui, de l’imagination, de la solitude et de la fatigue. Les deux sont liés car ils permettent une compréhension des espaces traversés.
Depuis la crise du Coronavirus, cette volonté de ralentir nos rythmes et de s’ancrer dans un territoire s’est agrandie. Nous sommes dans l’incapacité de nous déplacer aussi loin et aussi vite qu’avant. L’impact sur le tourisme et la manière dont nous pouvons voyager est un des principaux domaines touchés. L’expérience du Covid nous aura poussé à repenser nos manières de vivre et à nous déplacer. La population à la fin du confinement a privilégié le déplacement en mobilité douce: en vélos, trottinettes, marche, plutôt que de s’enfermer sous terre dans le métro. L’espace public a alors évolué avec l’utilisation de ces nouvelles pratiques qui existait trop peu en agglomération. Nous marchons de plus en plus et nous redécouvrons les espaces dans lequel nous habitons : des lieux oubliés ou mis de côté.
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Marcher permet-elle de recréer du lien et de revenir « aux essentiels » ?
Ce voyage a été une manière pour moi de me reconnecter. Il a permis de revenir à des choses simples, importantes comme j’en ai fait l’expérience.
Un moyen de se reconnecter avec nous même : par la pensée et le corps. Il symbolise un temps de pause et de coupure de notre quotidien et aussi un moyen de faire l’expérience de son corps et de ses propres limites. Mais aussi un moyen de se reconnecter avec le territoire : nos lieux de vie, et ce que Thierry Paquot appelle la « conscience du lieu ». C’est-à-dire prendre conscience des lieux dans lesquels nous vivons, que nous pouvons survoler ou ne même pas connaître (3).
La marche est un moyen de nous relier et d’observer ce que nous ne savons pas toujours voir autour de nous. Le marcheur qui se questionne et contemple devient acteur pour ré inventer et ré imaginer ces espaces. La marche serait-elle l’outil pour retrouver du lien entre toutes ces gares ?
L’expérience de cette marche est un voyage, qui ouvre à la réflexion, et à l’imagination.
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LONG Richard, River Po Line
2001, Phographie, Italy
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3
PAQUOT Thierry, Mesure et démesure des villes, 2020, Paris, CNRS édition
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